lundi 12 décembre 2016

Le programme de Mélenchon est-il anti-capitaliste ?

Jean-Luc Mélenchon se revendique de la gauche d’alternative au capitalisme[1] et considère son programme comme « révolutionnaire »[2]. A l’inverse, pour certains de ses détracteurs, il a été, est et restera toujours un social-démocrate. Qu’en est-il réellement ? Jugeons sur pièce, par l’analyse de son livre programme « l’avenir en commun ». 

La lutte des classes ?

La « lutte des classes » est-elle au cœur de l’idéologie de l’avenir en commun ? L’expression en tant que tel n’y figure pas. Mais si les termes de classes dominantes, classes ouvrières ou populaires n’apparaissent pas, ils sont remplacés par ceux d’oligarchie, de caste, de peuple. « Une caste de privilégiés, coupée des réalités de la vie du peuple, a confisqué le pouvoir » (p24).
 Marx le disait lui-même, si la lutte des classes est un invariant, la forme qu’elle prend dépend de chaque époque. L’expression d’oligarchie financière pour définir la classe dominante actuelle n’est pas l’apanage du seul Mélenchon[3]. En ce sens, il ne fait que s’approprier une expression à la mode pour définir la réalité de la lutte des classes actuelle.

Un programme révolutionnaire ?

Au cœur du programme, il y’a le projet d’une assemblée constituante pour la 6ème République. Cette 6ème République sera-t-elle une simple adaptation comme a pu l’être le changement de la 4ème à la 5ème République, ou peut-on espérer que cela sera réellement une révolution ? L’ambition affichée est bien celle d’une « révolution citoyenne » par les urnes[4], sur le modèle du Vénézuela ou de la Bolivie. Et dans les faits ?
Les détracteurs diront que le projet de nouvelle constitution reste très flou dans le programme. Et ils auront raison. Mélenchon s’en justifie lui-même[5] : le but n’est pas d’imposer un texte pré-écrit, mais de permettre les conditions d’un vaste débat démocratique sur ce que devrait être la nouvelle constitution.
A ce sujet, le chapitre « Balayer l’oligarchie, abolir les privilèges de la caste » (p24) de la partie 6ème République au-delà de son titre accrocheur n’apporte rien de  réellement révolutionnaire. (Mettre fin au pantouflage des fonctionnaires, Appliquer les recommandations d’Anticor pour lutter contre la corruption des élus, Refonder les règles de la représentativité patronale, lutter contre l’influence des lobbys, rendre inéligible à vie toute personne condamnée pour corruption…).
On s’intéressera plus à la partie « Une république permettant l’intervention populaire » (p25) avec des propositions allant dans le sens d’un renouveau démocratique (référendum révocatoire des élus, référendum d’initiative citoyenne, non-cumul des mandats) et à la partie «  Abolir la monarchie présidentielle » (p26) (Elire l’assemblée à la proportionnelle, installation d’un régime parlementaire…) mais là encore rien de révolutionnaire à proprement parler.
Certaines nouvelles garantie fondamentale paraisse plus de portée révolutionnaire : La non-marchandisation du corps humain, la constitutionnalisation de la règle verte, l’inscription dans la constitution de la protection de biens commun : « l’air, l’eau, l’alimentation, le vivant, la santé, l’énergie et la monnaie ne sont pas des marchandises. Ils doivent être gérés démocratiquement et le droit de propriété doit être soumis à l’intérêt général, la propriété commune protégée ». (p31)
On a donc bien dans le projet de constitution une mise hors du secteur marchand d’un certain nombre de bien communs, l’inscription d’un intérêt général supérieur au droit de propriété. Ces notions fondamentales dans un projet communiste sont présente, mais de manière limitée.

L’appropriation des moyens de productions ?

« L’avenir en commun » n’est certainement pas un programme communiste au sens d’appropriation massive par les travailleurs de leur outil de travail. La nationalisation ou la socialisation de certains pans de l’industrie sont néanmoins prévus (aéroports, autoroutes (p45), banques généralistes (p50) ...) et la création de pôles publics dans les secteurs stratégiques (transport, énergie…) (p48). On notera aussi une volonté particulière de s’attaquer aux monopoles privés en outres-mer. (p41)
Mais surtout, on voit apparaître deux notions, la réquisition des entreprises d’intérêt général par l’état (p46) et le droit de préemption pour les salariés afin de pouvoir racheter leur entreprise en cas de vente ou de faillite (p51), ainsi que des mesures afin de favoriser l’économie sociale et solidaire (ESS) (p52).
Les programmes de nationalisations et socialisations des entreprises sont bien timides, limités au retour à la situation entière ; sauf concernant la reprise en SCOP des entreprises qui ferment, un vrai progrès pour les salariés.

De nouveaux droits pour les travailleurs ?

A qui le pouvoir dans l’entreprise ? Aux actionnaires ou aux salariés ? La réponse est aujourd’hui évidente. Les actionnaires ont tous pouvoirs, et les salariés très peu. « L’Avenir en commun » propose de « reconnaître la citoyenneté dans les entreprises » (^p32) avec de nouveaux droits pour les travailleurs et leurs représentants (droit de contrôle des CE sur les finances des entreprises, vote de défiance des salariés à l’égard de leurs dirigeants ou des projets stratégiques, véto suspensif des CE sur les plans de licenciements).
A l’inverse, le pouvoir de décision des actionnaires se verrait (légèrement) réduit, avec une modulation du droit de vote selon la durée de l’investissement dans l’entreprise (p49)
On a là une amorce de remise en cause du pouvoir absolu de l’actionnaire sur la politique de l’entreprise. Un début d’idée que le travail vaut autant que le capital pour la possession et la direction des entreprises.

La remise en cause du libre-échange, du pouvoir de la finance ?

« Mettre au pas la finance » (p48), « Mettre fin au pillage économique de la nation » (p45) sont quelques-unes des têtes de chapitre du programme. Qu’en est-il à l’intérieur ? Là encore, de premiers pas vers la remise en cause du libre-échange et du pouvoir absolu de la finance.
Côté bourse, il y’a l’abandon de la cotation en continue des entreprises (p49), une taxe sur les transactions financières (p48), l’interdiction des licenciements boursiers (p52), l’interdiction de verser des dividendes supérieurs aux bénéfices (p50) ou interdire les dividendes dans les entreprises ayant procédés à des licenciements économiques (p52), interdire les opérations boursières de type « LBO » (p50), interdire la titrisation (p48), les produits dérivés toxiques (p49) …
Concernant le libre-échange, il y’a bien sûr la remise en cause de tous les traités de libre-échange TAFTA, CETA, TISA (p82) et faire l’inventaire des traités existants (p46), stopper les politiques européenne de libéralisation des services publics (p82), l’instauration d’une taxe douanière « kilométriques (p73) et sociales (p46) ». Les biens importés seraient taxés non pas uniformément mais à la fois selon la distance parcourue (notion écologique) mais aussi selon l’état des droits sociaux du pays concernés.
Enfin, il y’a la volonté de redonner des pouvoirs d’intervention à l’Etat sur la finance, avec la remise en cause de la BCE (p83), la création d’un pôle public bancaire à même de racheter les dettes d’état (p48)…
Le programme a donc une vraie dimension de remise en cause du pouvoir de la finance, du libre-échange et de la mondialisation. C’est sans doute dans ce volet qu’il va le plus loin.

Un premier pas vers la remise en cause du capitalisme ?

Ces quelques extraits choisis du programme ne sont évidemment pas exhaustif, celui-ci contient environs 350 propositions réparties en 83 têtes de chapitres. Mais ils donnent un bon aperçu de la philosophie de  « l’avenir en commun ».
Ce programme ne décrit pas une société idéale et anticapitaliste. C’est un programme de transition, une première étape, les premières mesures, pour  amorcer une remise en cause du système capitaliste ; le cœur de l’affaire étant laissé pour plus tard et en tout état de cause après la mise en place de la VIème République.






[1] Cf. par exemple l’hommage à Fidel Castro rendu par Mélenchon le 25/12/2016
[2] Cf. par exemple La FAQ de la chaîne YouTube de Mélenchon, partie où il répond sur la 6ème République.
[3] F. par exemple 99%, le livre de Pierre Laurent, 1er secrétaire du PCF.
[4] Cf. par exemple La FAQ de la chaîne YouTube de Mélenchon, partie où il répond sur la 6ème République
[5] Cf. par exemple La FAQ de la chaîne YouTube de Mélenchon, partie où il répond sur la 6ème République

3 commentaires:

  1. Pour votre gouverne, avec toute la sympathie que j'ai pour elle l'expression lutte des classes ne figuraient pas dans le programme de Marie georges Buffet en 2007, notre ami François ruffin l'avait constaté en cherchant Buffet et luttes des classes sur google, et c'est ainsi qu'il trouva Warren Buffet, et sa citation, la lutte des clases c'est nous qui l'avons gagné, citation reprise par la même Buffet lors de la campagne régional de 2010 :-)

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  2. La candidature de Marie georges Buffet était-elle vraiment une candidature communiste ?
    Je ne le crois pas!

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  3. Il n'est pas faux de dire que si on passait les programmes de 2007 et 2012 du PCF à la même moulinette, le résultat risquerait d'être surprenant.
    Oui, si on en juge par leurs seuls contenus officiels, les programmes du PCF sont plus sociaux-démocrates que communistes depuis pas mal d'année.
    Mais comme pour l'Avenir en Commun, c'est l'idée d'une première étape, limitée mais créant les fondations nécessaire au changement, avant d'aller plus loin.

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